Déclarations et discours : Commissaire aux élections fédérales

Allocution du commissaire aux élections fédérales

sur le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence

devant le

Comité sénatorial permanent des affaires juridiques
et constitutionnelles

10 avril 2014

Seul le texte prononcé fait foi

Merci, Monsieur le Président.

Je tiens à remercier le Comité de m'inviter à témoigner sur le projet de loi C-23 et son incidence sur mon rôle de commissaire aux élections fédérales.

Je suis accompagné aujourd'hui de Me Audrey Nowack, avocate-conseil, Conformité et Enquêtes.

Compte tenu du temps dont je dispose, je me concentrerai sur trois aspects du projet de loi qui préoccupent particulièrement mon Bureau : 1) les changements de structure prévus par le projet de loi C-23, 2) l'absence de pouvoirs adéquats permettant d'enquêter avec diligence et 3) les contraintes imposées à ma capacité de communiquer avec le public.

1. Transfert du commissaire au Bureau du directeur des poursuites pénales

Selon moi, les changements de structure proposés par le projet de loi C-23 sont à la fois inutiles et problématiques.

Tout d'abord, je tiens à souligner qu'en tant que commissaire, j'ai toujours joui d'une indépendance absolue concernant la conduite des enquêtes et le choix des mesures d'exécution de la Loi, y compris la décision de renvoyer une affaire au directeur des poursuites pénales (DPP). Mon prédécesseur a récemment indiqué publiquement qu'il en était de même pour lui.

Cela n'a rien d'étonnant. La Loi actuelle a été rédigée précisément pour que le commissaire, et non le directeur général des élections, prenne les décisions concernant son exécution et les enquêtes à mener. Selon mon expérience, je peux affirmer que la culture organisationnelle d'Élections Canada appuie fermement cette séparation.

Cela fait maintenant près de deux ans que je suis en poste, et mon indépendance n'a jamais été remise en question. En effet, jamais le directeur général des élections, ou quiconque à Élections Canada ou ailleurs, n'a tenté d'influencer d'une façon ou d'une autre la manière dont mes enquêteurs et moi faisons notre travail.

Intégrer le commissaire au Bureau du DPP est une tentative de résoudre un problème qui, selon moi, n'existe pas.

Bien que je prenne mes décisions en toute indépendance, j'ai besoin d'accéder librement et facilement aux renseignements d'Élections Canada pour mes enquêtes, ce qui n'est pas prévu et encore moins garanti par le projet de loi C-23 actuel. Je compte également sur l'expertise et les connaissances du personnel d'Élections Canada afin d'intervenir en connaissance de cause, sans aller à l'encontre des manuels et des pratiques de l'organisme. C'est dans l'intérêt de tous, y compris des partis et des candidats. La mise en application de la Loi ne peut se faire en vase clos.

Dans les régimes régulatoires, ce besoin d'expertise et de cohérence entre l'administration et l'application de la loi explique pourquoi on a tendance à regrouper ces fonctions au sein d'un même organisme, plutôt que de les séparer. Prenons l'exemple de l'Agence du revenu du Canada. En plus de recevoir et de vérifier les déclarations de revenus, elle comprend une équipe d'enquête et peut recommander d'intenter des poursuites. C'est également le cas pour de nombreux autres organismes fédéraux.

Aucun principe juridique ni aucune décision judiciaire n'empêchent de maintenir cette structure. En fait, les tribunaux qui se sont penchés sur la question de la communication entre, par exemple, les enquêteurs et les vérificateurs, y compris le plus haut tribunal du pays, n'ont pas jugé problématique le fait que ces deux fonctions se trouvent au sein d'un même organisme.

En revanche, en intégrant le commissaire au Bureau du DPP, le projet de loi C-23 réunirait deux fonctions qui sont normalement séparées. Ce n'est pas un jumelage habituel, au contraire. Au moment de décider s'il faut déposer des accusations et porter une affaire devant les tribunaux, il est absolument crucial que le DPP agisse en gardant une saine distance par rapport aux enquêteurs et à l'enquête et, plus important encore, qu'il soit perçu ainsi.

Si l'indépendance du commissaire par rapport au directeur général des élections est perçue comme un problème, je suggère que soient ajoutées à la Loi électorale les dispositions pertinentes portant sur la durée fixe de son mandat et son inamovibilité, sans transférer le Bureau du commissaire à une autre organisation.

En conclusion, le transfert proposé ne constitue clairement pas, selon moi, un pas dans la bonne direction.

2. Pouvoirs d'enquête

La deuxième question qui me préoccupe concerne les pouvoirs d'enquête du commissaire. Je crois qu'il est essentiel de donner au commissaire la capacité d'obtenir une ordonnance du tribunal afin de contraindre une personne à témoigner.

Il n'est pas rare – et en fait, il semble qu'il soit de plus en plus fréquent – que les individus indirectement concernés par une enquête, mais qui pourraient détenir des renseignements importants, refusent de coopérer avec mon Bureau. Cette situation entraîne des retards considérables et pourrait même compromettre une enquête.

Certains ont fait valoir que la police ne dispose pas d'un tel pouvoir, ce qui est effectivement le cas. Mais le commissaire n'est pas un policier, et la Loi électorale du Canada n'est pas le Code criminel. La Loi électorale du Canada est un régime réglementaire strict qui évolue dans un contexte politique où les allégeances partisanes sont généralement très fortes.

Le directeur général des élections et moi-même avons tous deux recommandé que ce pouvoir soit accordé au commissaire et assorti des protections appropriées, telles que celles prévues dans la Loi sur la concurrence.

Le défaut d'accorder ce pouvoir constituerait une occasion manquée.

3. Contraintes relatives aux communications

Enfin, je suis préoccupé par les contraintes qu'impose le projet de loi C-23 sur ma capacité à informer le public du résultat de mes enquêtes et des activités de mon bureau.

Il existe certainement d'excellentes raisons pour préserver la confidentialité des enquêtes. Toutefois, il existe à mon avis deux types de communications importantes que je dois faire de façon directe et sans entrave.

Premièrement, lorsque des allégations faites publiquement mettent en doute l'intégrité d'une élection, et que l'enquête démontre que ces allégations n'étaient pas fondées, je veux être en mesure de rassurer les Canadiens en rendant publiques mes conclusions, notamment en fournissant certains détails factuels. Mon prédécesseur l'a fait deux fois pendant son mandat.

Deuxièmement, il est important que je puisse rédiger mon propre rapport annuel afin de présenter mes activités, ainsi que mes observations sur les tendances et les préoccupations. Ce rapport ne devrait pas faire partie d'un autre rapport soumis par quelqu'un d'autre à un ministre du gouvernement en place.

Conclusion

En conclusion, je tiens à préciser que mes préoccupations n'enlèvent rien au fait que certains éléments du projet de loi C-23 sont positifs, notamment l'augmentation des amendes, la création d'infractions et la réduction automatique du remboursement des dépenses électorales en cas de dépassement du plafond.

Enfin, je note que le ministre d'État à la Réforme démocratique a indiqué qu'il pourrait être ouvert à certaines modifications concernant le délai de prescription et le critère régissant le déclenchement d'une enquête. Il est important de résoudre ces questions.

M. le Président, je serai maintenant heureux de répondre à toutes les questions, sauf si elles devaient porter sur les détails de mes enquêtes.

Merci.



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