Commissaire aux élections fédérales – Rapport annuel de 2021

Message du commissaire aux élections fédérales

C'est avec grand plaisir que je présente mon dernier rapport annuel en tant que commissaire aux élections fédérales (CEF). On trouvera dans les pages qui suivent un survol de nos principales activités ainsi que des enjeux qui nous ont particulièrement intéressés au cours de l'année 2021.

Je voudrais m'arrêter sur quelques points qui me semblent particulièrement significatifs. Certains portent sur l'année 2021, tandis que d'autres touchent l'ensemble de mon mandat comme commissaire.

L'élection générale de 2021

Dans l'ensemble, l'élection générale de septembre dernier s'est fort bien déroulée, comme on peut voir ci-dessous. Malgré que presque tout notre travail se soit fait de la maison, nous sommes parvenus à traiter avec diligence des questions urgentes qui sont survenues tout au cours de la campagne.

Il convient de souligner que, contrairement à ce qui s'était passé lors de l'élection générale précédente (octobre 2019), alors qu'un régime entièrement nouveau venait d'être adopté pour réglementer les activités des tiers, nous avons reçu beaucoup moins de plaintes portant sur cet enjeu en 2021. Cela était probablement attribuable en grande partie au fait que le système s'était rodé et les intéressés avaient eu la chance de se familiariser avec les nouvelles règles.

Les sanctions administratives pécuniaires

C'est en 2019 que les amendements à la Loi électorale du Canada (la Loi) sont entrés en vigueur, permettant l'adoption et la mise en œuvre d'un régime de sanctions administratives pécuniaires (SAP). Ce changement, que notre Bureau réclamait depuis des années, fait une différence marquée et représente un véritable tournant pour le travail d'observation et de contrôle d'application de la loi du CEF.

Cela est d'autant plus utile quand on considère que les cours de compétence criminelle continuent – à travers le pays – à faire face à des charges de travail colossales et à des arriérés de dossiers considérables. Pouvoir sanctionner quelqu'un qui, par exemple, a omis de déposer un rapport financier (ce qui est si important pour maintenir une saine transparence de notre système électoral), sans avoir à déposer des accusations, voilà un progrès réel.

D'ailleurs, je suis convaincu que le taux de conformité à la Loi ne fera qu'augmenter à mesure que la capacité du Bureau d'agir de la sorte sera connue. Pour cette raison, et comme je le mentionne dans mon Rapport de recommandations, le législateur devrait élargir le domaine d'application du régime de SAP.

Les votes illégaux

Le Parlement a jugé opportun de permettre l'imposition de SAP dans des cas de votes illégaux (on notera que le dépôt d'accusations criminelles demeure possible). Je crois qu'il s'agissait là d'un choix fort heureux. Cela nous permet de traiter ces dossiers tellement plus rapidement.

J'aimerais en profiter pour rassurer les Canadiens et Canadiennes sur cette question. Au cours de mes dix années à titre de commissaire, j'ai pu voir que, oui, il est arrivé que des non-citoyens aient voté ou que des personnes aient été soupçonnées d'avoir voté et aient voté à plus d'une reprise. Cependant, je tiens à souligner que cela se produit rarement et, dans la très grande majorité des cas, on ne voit aucune trace d'intention criminelle.

Par exemple, il est arrivé qu'un résident permanent vote parce que quelqu'un lui avait dit, de bonne foi (quoique de façon erronée), qu'il pouvait le faire. Ou bien, un individu ayant réussi son examen de citoyenneté a cru à tort qu'il avait la qualité d'électeur, alors qu'en fait ce n'est qu'après avoir prêté le serment de citoyenneté que l'on devient Canadien (et donc électeur). Dans d'autres dossiers, ce qui semblait être un double vote n'était, en fait, que le résultat d'une erreur administrative : le nom de la personne avait été biffé par erreur de la liste des électeurs, ce qui donnait l'impression qu'elle avait déjà voté.

Nous n'avons relevé aucun cas où le résultat du scrutin dans une circonscription particulière ait pu être affecté par des votes frauduleux.

Bref, il n'y a pas d'indication qu'il existe, au Canada, un problème systémique lié au vote illégal.

Cela dit, il faut demeurer vigilant et ne pas hésiter à avoir recours aux poursuites criminelles lorsque les circonstances le justifient. À ce chapitre, il convient de mentionner que, au cours des dernières années, nous avons déposé des accusations dans un certain nombre de dossiers pour vote illégal. Ce qui pourrait surprendre bien des lecteurs, c'est la clémence relative dont les tribunaux ont fait preuve à l'endroit des contrevenants. Par exemple, dans deux dossiers de double vote menés conjointement (voir cette décision rendue et cette autre décision rendue), le tribunal de première instance a accordé aux personnes accusées une absolution conditionnelle assortie d'une probation d'un an et 75 heures de travaux communautaires. La Couronne est allée en appel contre la sentence. Son appel a été rejeté. Dans un autre dossier de double vote, le même genre de sentence a été imposé, soit une absolution conditionnelle assortie d'une probation de six mois et de 15 heures de travaux communautaires.

Le cadre législatif actuel permet l'imposition d'une SAP pouvant atteindre 1500 $ dans les dossiers de votes illégaux. Comme effet dissuasif, il s'agit d'une sanction qui se compare avantageusement aux sentences imposées par les tribunaux pour cette infraction.

La protection des renseignements personnels détenus par les partis politiques

La grande majorité des Canadiens et Canadiennes ont des attentes – et veulent des garanties minimales – à ce que leur droit à la vie privée soit respecté. Or, et cela est bien connu, le régime actuellement applicable aux partis politiques fédéraux concernant la vie privée n'est clairement pas à la hauteur des attentes des citoyens à cet égard.

Les changements apportés à la Loi en 2019 constituent un pas dans la bonne direction. Mais il s'agit d'un pas fort timide. Par exemple, bien que les partis doivent créer une politique sur la protection des renseignements personnels, la Loi ne précise aucunement le type de protection qu'ils doivent offrir. Pis encore, elle ne contient même pas de violation ou d'infraction pour un parti qui ne respecte pas sa propre politique.

Le libellé concernant l'utilisation permise des renseignements contenus dans la liste des électeurs n'a pas non plus été actualisé pour tenir compte des pratiques à l'ère des médias sociaux. Cette situation fait en sorte que la Loi demeure extrêmement permissive par rapport à l'utilisation que peuvent faire les partis politiques de ces renseignements personnels.

Cela signifie qu'en raison du cadre législatif actuel, nous sommes très limités quant à ce que nous pouvons faire lorsque des électeurs s'adressent à nous pour exprimer des inquiétudes ou déposer des plaintes par rapport à l'utilisation faite par les partis politiques de leurs renseignements personnels. Je note au passage que, en 2019, mon Bureau a reçu une plainte du Centre for Digital Rights (CDR) portant précisément sur cette question. J'ai rejeté cette plainte en raison de la faiblesse des dispositions contenues dans la Loi. Le CDR a entamé des procédures en Cour fédérale visant à faire casser ma décision et à nous forcer de faire enquête. La Cour fédérale a rejeté la demande du CDR en 2021 (dossier T-893-20).

Le directeur général des élections (DGE) 1 et le commissaire à la vie privée du Canada, comme d'autres aussi, ont déploré la situation actuelle et ont formulé des recommandations à cet égard. C'est également un enjeu que j'ai soulevé dans mon Rapport annuel de 2018-2019.

En mars 2022, le bureau du commissaire de la vie privée de la Colombie-Britannique (disponible en anglais seulement) a conclu que les partis politiques fédéraux sont assujettis à la Personal Information Protection Act 2 de cette province. Au Québec, la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels a été sanctionnée en septembre dernier. Comme le mentionne le directeur général des élections du Québec dans son rapport Financement politique : Bilan et perspectives 2021, lorsqu'elles entreront en vigueur le en septembre 2023, certaines des dispositions de cette loi viendront « assujettir, en partie, les partis politiques, les députés indépendants et les candidats indépendants à la Loi sur les renseignements personnels dans le secteur privé » et ajouter « un régime particulier en matière de protection des renseignements personnels des électrices et des électeurs dans la Loi électorale. » De l'autre côté de l'océan Atlantique, une même tendance se dessine. On peut penser, par exemple, au Règlement général sur la protection des données en Europe.

Le vent du changement souffle de plus en plus fort. Il est grand temps que le Parlement agisse et adopte un régime qui correspond à l'air du temps et qui répond aux attentes légitimes des électeurs.

Au revoir et merci

Avant de conclure, c'est à tous ceux et celles, au sein de mon bureau, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler au cours des dix dernières années que je veux exprimer mes remerciements les plus sincères et ma reconnaissance la plus profonde. J'ai eu le privilège de travailler avec toutes sortes de personnes dédiées à leur travail, motivées, qui croient profondément en notre mission et qui se dévouent corps et âme à leur travail. Des personnes dont le contact régulier me manquera.

Je tiens à souligner de manière toute particulière la qualité des services et des conseils que j'ai reçus du sous-commissaire, Me Marc Chénier. J'ai énormément bénéficié de sa vaste expérience et de son soutien sans faille.

Je veux aussi exprimer au DGE et à Élections Canada un sincère remerciement pour leur collaboration et leur soutien continu au cours des dernières années.

L'avenir

Le Canada est l'une des très rares démocraties qui a mis sur pied et qui a maintenu un organisme comme le nôtre, avec un mandat de contrôle d'application de la législation électorale complètement indépendant. En effet, ni les membres de la classe politique, ni la fonction publique, ni même le DGE ne peuvent intervenir de quelque manière que ce soit dans notre travail. Au surplus, la législation garantit au Bureau l'accès à toutes les ressources – financières ou autres – dont il estime avoir besoin pour mener à bien son travail. Cela est vraiment extraordinaire.

Comme l'on peut voir sur notre site Web, au cours des ans, des partis politiques, des ministres, des députés, des personnes influentes et haut placées, d'importantes sociétés commerciales, soit ont fait l'objet de poursuites qui se sont soldées en verdicts de culpabilité, soit ont reconnu avoir violé la Loi.

Alors qu'on aurait fort bien pu craindre que le contraire ne se produise, le mandat et l'indépendance du Bureau ont législativement été renforcés à deux reprises pendant mon mandat, soit en 2014 et en 2018.

Je rends hommage aux gouvernements et aux parlementaires qui ont proposé et adopté ces modifications législatives. Et j'invite ceux qui les suivront à ne jamais s'engager dans la voie inverse.

Je quitte avec la conviction que toute l'équipe continuera de travailler avec la même ardeur et qu'elle offrira la même qualité de soutien au nouveau commissaire que ce à quoi j'ai eu droit pendant toutes ces années.

Yves Côté, c.r.

Notes

1 Voir, par exemple, Répondre aux nouveaux défis : Recommandations du directeur général des élections du Canada à la suite des 43e et 44e élections générales et le témoignage du DGE lors de la réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre du 22 mai 2018.

2 Une demande de contrôle judiciaire a été déposée à l'encontre de cette décision. Cette demande est pendante devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.

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