Rapport d'enquête sommaire sur les appels automatisés
Annexe – Rapport de l'honorable Louise Charron au commissaire aux élections fédérales
À la demande du commissaire aux élections fédérales, j'ai effectué une vérification approfondie de l'enquête sur les plaintes concernant les appels trompeurs et irritants reçus par des électeurs à l'extérieur de la circonscription de Guelph pendant la 41e élection générale.
1. L'enquête vérifiée
L'enquête vérifiée peut se résumer comme suit.
Au cours de la dernière élection fédérale, un certain nombre d'électeurs ont indiqué avoir reçu des appels téléphoniques de vive voix ou enregistrés, les avisant faussement du changement d'adresse de leur bureau de scrutin. D'autres ont indiqué avoir reçu des appels qu'ils considéraient comme irritants ou harcelants, pour diverses raisons. Le commissaire a fait enquête pour déterminer s'il existait des motifs suffisants pour recommander le dépôt d'accusations, en vertu de la Loi électorale du Canada ou du Code criminel. Une accusation a été portée en vertu de la Loi électorale du Canada pour les appels effectués dans la circonscription de Guelph. L'enquête qu'on m'a demandé de vérifier portait sur les appels sans lien avec l'affaire de Guelph.
Compte tenu de la nature des plaintes, deux dispositions de la Loi électorale du Canada, qui interdisent certaines interventions auprès des électeurs, auraient pu être enfreintes : a) l'alinéa 281g), selon lequel il est interdit de volontairement empêcher ou de s'efforcer d'empêcher un électeur de voter à une élection; b) l'alinéa 482b), selon lequel il est interdit d'inciter une autre personne à s'abstenir de voter, ou à voter ou non pour un candidat donné par « quelque prétexte ou ruse ».
Après une longue enquête, le commissaire a conclu que rien ne prouvait la perpétration d'une infraction à l'extérieur de Guelph.
2. Mon mandat
On m'a demandé d'effectuer une vérification rigoureuse et exhaustive de l'enquête et de donner mon avis sur sa qualité globale, y compris :
- la qualité et la rigueur de l'enquête;
- la pertinence des techniques d'enquête utilisées;
- la nécessité de pousser l'enquête;
- le bien-fondé et la rigueur des conclusions présentées dans les rapports d'enquête, plus précisément la suffisance de la preuve étayant ces conclusions.
On m'a également demandé si les enquêteurs avaient connu des difficultés, qui auraient pu avoir une incidence sur le résultat de l'enquête. Enfin, on m'a invitée à présenter des recommandations concernant tout aspect de l'enquête, selon mon bon jugement.
J'ai d'abord rencontré le commissaire et plusieurs membres de l'équipe d'enquête, qui m'ont donné un aperçu de l'enquête et de ses résultats. On m'a également donné accès à tous les documents obtenus ou produits pendant l'enquête. À l'exception d'une section protégée par le secret professionnel de l'avocat, j'ai obtenu copie du rapport d'enquête complet, en version papier et électronique; la version électronique comprenait des hyperliens pratiques vers les documents à l'appui. On m'a aussi donné un aperçu de l'enquête menée dans Guelph pour m'aider à mieux comprendre le contexte.
J'ai lu et analysé le rapport d'enquête complet, en tenant compte de la documentation fournie à l'appui. Voici des exemples de ce qu'elle comprenait : documents sur la réception des plaintes, information pertinente sur le processus électoral fournie par Élections Canada, ordonnances de communication, données de fournisseurs de services téléphoniques, courriels et correspondance, notes des enquêteurs, rapports préliminaires et notes d'information, transcriptions et enregistrements audio des entrevues effectuées par les enquêteurs, rapports d'expert, analyses statistiques, documents fournis par les partis politiques et coupures de presse. J'ai examiné cette documentation dans la mesure nécessaire pour comprendre le rapport d'enquête et évaluer le bien-fondé et la rigueur de ses conclusions. J'ai également eu plusieurs discussions de suivi avec le directeur des enquêtes.
Je suis convaincue d'avoir obtenu tout le nécessaire pour m'acquitter de mon mandat. Malgré la quantité énorme d'information recueillie et produite dans le cadre de cette enquête, mon rapport sera bref.
3. Mes conclusions
Commençons par la grande conclusion à laquelle est parvenue l'équipe d'enquête, soit qu'il n'y a aucun motif de croire qu'une infraction à la Loi électorale du Canada ou au Code criminel a été commise en ce qui concerne les plaintes provenant de l'extérieur de la circonscription de Guelph. À mon avis, cette conclusion est amplement étayée par la preuve.
Cette dernière pourrait en surprendre certains, car plus de 40 000 communications ont été reçues de la part d'électeurs sur ce qu'on appelle communément les « appels automatisés ». Naturellement, les médias ont beaucoup parlé des appels trompeurs au sujet de l'emplacement des bureaux de scrutin lors de la dernière élection générale. Les tribunaux ont également donné leur avis sur la question lors de procédures judiciaires connexes. Il est important de souligner que la plupart des communications provenaient d'électeurs préoccupés par les incidents rapportés dans les médias; ils ont été moins nombreux à indiquer avoir eux-mêmes reçu un appel inapproprié. En faisant abstraction des résultats de l'enquête dans Guelph et des communications reçues de la part d'électeurs préoccupés (par opposition aux plaintes réelles des destinataires d'appels inappropriés), on obtient un portrait de la situation bien différent de ce que les données laissaient entrevoir au départ.
C'est un fait que des électeurs à l'extérieur de Guelph ont reçu des appels inappropriés lors de la 41e élection générale. On a constaté que certains avaient effectivement été dirigés à tort vers un bureau de scrutin autre que celui indiqué sur leur carte d'information de l'électeur. Toutefois, la communication de renseignements faux ou erronés ne constitue pas une infraction. Si rien n'indique qu'on a eu l'intention d'empêcher un électeur de voter, ou d'inciter un électeur à voter ou à s'abstenir de voter par quelque prétexte ou ruse, il n'y a alors aucun motif de croire qu'une infraction a été commise. L'enquête n'a pas démontré pareille intention.
Vu le peu de documents obtenus des fournisseurs de services de téléphonie et de télémarketing, il a été impossible, pour la plupart des plaintes, d'établir le contenu des messages ou l'identité des appelants, encore moins leur intention. Même lorsqu'on a pu remonter à une personne agissant au nom d'une entité politique, il s'est généralement avéré que les appelants avaient ciblé des électeurs qui semblaient appuyer le parti en question. Il serait donc illogique d'en conclure qu'ils ont dirigé ces électeurs vers le mauvais bureau de scrutin dans l'intention de les empêcher de voter. De plus, si l'on regarde la répartition géographique globale des appels douteux reçus à l'extérieur de Guelph, il n'en ressort aucune constante notable qui permette de raisonnablement conclure à une intention ou à un projet d'empêcher des électeurs de voter.
Pour ce qui est des plaintes concernant les appels dits irritants – même si leur contenu avait pu être établi avec suffisamment de certitude, ce qui n'a généralement pas été le cas –, absolument rien de prouve, selon moi, qu'on a posé des gestes constituant une infraction à la Loi électorale du Canada ou au Code criminel.
À mon avis, cette absence de preuve n'est pas attribuable à une quelconque lacune de l'enquête. Constituée d'enquêteurs chevronnés et hautement qualifiés, l'équipe a accompli son travail de façon rigoureuse, équitable et impartiale. Elle a examiné toutes les plaintes et donné suite à chacune d'elles dans la mesure du possible, en utilisant tous les moyens dont elle disposait. Elle a demandé plus d'information, parfois à maintes reprises, à toutes les personnes susceptibles d'être concernées : directeurs du scrutin, employés d'Élections Canada, fournisseurs de services de téléphonie et de télémarketing, et représentants de partis politiques. Dans les situations plus délicates, elle a judicieusement établi un protocole permettant à des tiers indépendants de surveiller la collecte des données requises et d'ainsi assurer l'intégrité du processus. L'équipe a également consulté des experts, au besoin, pour faciliter l'analyse des données. Dans l'ensemble, une excellente enquête a été menée.
Les enquêteurs ont-ils connu des difficultés, qui pourraient avoir eu une incidence sur les résultats de l'enquête? Dans son rapport intitulé Prévenir les communications trompeuses avec les électeurs – Recommandations du directeur général des élections du Canada à la suite de la 41e élection générale, le DGE a fourni un aperçu de quelques-unes des difficultés rencontrées par les enquêteurs dans leur recherche de la source des appels inappropriés effectués lors de la dernière élection générale. Toutes les difficultés mentionnées dans ce rapport ont certainement eu une incidence sur le déroulement de l'enquête – certaines plus que d'autres.
Par exemple, l'absence de normes contraignantes sur la rétention des données dans le secteur des télécommunications a eu une incidence très importante sur les recherches visant à déterminer l'identité des appelants. Comme je l'ai déjà mentionné, les documents étaient si peu nombreux qu'il a été impossible d'établir l'identité des appelants dans la plupart des cas. Sans cette information, c'est évidemment l'impasse. Le fait que la plupart des plaintes ont été présentées au moins neuf mois après le jour de l'élection (à la suite d'une forte couverture médiatique en février 2012) a exacerbé le problème.
Une autre difficulté importante, selon moi, vient du fait que les partis politiques ne sont actuellement pas tenus d'indiquer à Élections Canada s'ils ont eu recours à une firme de télécommunication pour téléphoner aux électeurs et, le cas échéant, l'objet des appels, les messages transmis et les numéros de téléphone des destinataires. Les enquêteurs devaient généralement s'en remettre au bon vouloir des partis politiques et des entreprises de télémarketing pour obtenir ce type de renseignements. Certaines entreprises de télémarketing engagées par les partis politiques ont tout simplement refusé de collaborer; d'autres ont fini par collaborer au bout d'un long moment. Les partis politiques ont généralement accepté de fournir les données voulues, mais encore une fois, certains ont exagérément tardé à le faire ou ont opposé une résistance inexplicable.
Je ne puis dire si le résultat de l'enquête aurait été différent en l'absence de toutes ces difficultés. Je n'en ai pas l'impression. Les enquêteurs ont d'ailleurs conclu, à juste titre, que si l'on avait voulu tromper des électeurs à l'extérieur de Guelph, on aurait pu s'attendre à ce qu'il y ait un seul numéro demandeur prédominant ou une foule de numéros demandeurs, ou à ce que de multiples appels aient été effectués dans une circonscription à partir du même numéro. Or, ce n'est pas le cas.
Pour terminer, je tiens à remercier le commissaire et son équipe d'enquêteurs de m'avoir apporté toute l'aide dont j'avais besoin pour effectuer cette vérification.
L'honorable Louise Charron, LL.B., C.C.
Le 25 février 2014