Rapport d'enquête sommaire sur les appels automatisés

2. Contexte juridique

30. Pour comprendre la démarche des enquêteurs et leurs conclusions au sujet des plaintes, il faut avoir une idée de certaines règles et pratiques qui s'appliquent actuellement à la conduite des élections.

2.1 Inscription des électeurs et listes électorales

31. Élections Canada tient le Registre national des électeurs, une base de données permanente et continuellement mise à jour des Canadiens inscrits comme électeurs. En 2011, quelque 24 millions d'électeurs étaient inscrits au Registre. Ce dernier contient le nom, l'adresse, le sexe et la date de naissance des électeurs, le numéro de leur circonscription, leur section de vote, ainsi qu'un identificateur personnel unique pour faciliter le suivi des changements apportés à leurs renseignements.

32. Élections Canada a informé les enquêteurs que près de 15 à 17 % des renseignements des électeurs changent chaque année, en raison notamment des déménagements, des jeunes qui atteignent l'âge de voter, des décès et des néo-Canadiens qui obtiennent le droit de vote. Par exemple, environ trois millions de Canadiens déménagent chaque année, dont certains en période électorale ou peu de temps avant. Les renseignements des électeurs sont mis à jour continuellement, à l'aide d'un certain nombre de sources officielles, conformément à la Loi. Les électeurs peuvent demander d'être exclus du Registre en tout temps. S'ils le font, ils devront alors prouver leur admissibilité au vote pendant la période électorale.

33. Le Registre sert à établir les listes électorales annuelles et trimestrielles, ainsi que les listes préliminaires au début de la période électorale. Conformément à la Loi, les partis politiques et les candidats en reçoivent copie de façon à ce qu'ils puissent communiquer avec les électeursnote 6. Les dates de naissance des électeurs ne figurent pas sur les listes qui leur sont fournies, pas plus que les numéros de téléphone.

34. En période de campagne, les listes électorales sont révisées dans les circonscriptions à mesure que les électeurs admissibles s'inscrivent, que les activités de révision prévues ont lieu et que les électeurs mettent à jour leurs renseignements aux bureaux de vote par anticipation et aux bureaux de scrutin ordinaires. Les directeurs du scrutin fournissent aux campagnes locales (mais pas aux partis nationaux) trois séries de listes révisées au cours d'une campagnenote 7. Pendant la période de révision de la 41e élection générale, par exemple, 732 234 changements d'adresse ont été effectués sur les listes.

35. Il est donc très important de noter que les listes électorales nationales évoluent constamment en période de campagne, et que leur administration est décentralisée pour permettre aux directeurs du scrutin de gérer les renseignements des électeurs de leur circonscription.

2.2 Communication des adresses des lieux de scrutin par Élections Canada

36. Chaque circonscription est divisée en un certain nombre de secteurs géographiques appelés sections de vote, comprenant chacune au moins 250 électeurs. Généralement, il y a un bureau de scrutin, c'est-à-dire une urne, par section de vote. Jusqu'à 15 bureaux de scrutin peuvent être regroupés dans un centre de scrutin. Après le déclenchement d'une élection, les directeurs du scrutin louent des locaux pour la tenue du scrutin (souvent au même endroit qu'aux élections précédentes). Il peut toutefois être nécessaire, dans certaines circonstances, de changer de lieux au cours de la période électoralenote 8.

37. Dans chaque circonscription, les directeurs du scrutin informent les électeurs de l'adresse de leur lieu de scrutin au moyen de la carte d'information de l'électeur (CIE), qui est envoyée à chaque électeur inscrit à compter du 24e jour précédant le jour du scrutin. Chaque CIE indique à l'électeur l'adresse de son lieu de scrutin, les heures de vote, les dates de vote par anticipation, la date de l'élection et le numéro de téléphone à composer pour obtenir de plus amples renseignements.

38. S'il faut changer de lieu de scrutin et si le temps le permet, le directeur du scrutin envoie par la poste des CIE révisées à tous les électeurs concernés. Sinon, les électeurs sont informés du changement par les médias locaux et des travailleurs électoraux postés au lieu de scrutin originellement annoncé. Élections Canada n'appelle pas les électeurs en pareilles circonstances. À quelques exceptions près, il ne possède pas leurs numéros de téléphone, et ceux qu'il possède ne figurent pas dans le Registre national des électeurs ni sur les listes électorales, de sorte qu'ils ne sont pas communiqués aux partis politiques et aux candidats.

39. Conformément à la Loi, les directeurs du scrutin sont tenus d'informer les candidats de leur circonscription de l'adresse des lieux de scrutin et de tout changement, car la Loi autorise les candidats ou leurs représentants à assister au scrutin et au dépouillement des votesnote 9. Habituellement, il appartient à chaque candidat de transmettre cette information au siège de son parti. Il est également possible de trouver une à une les adresses des lieux de scrutin sur le site Web d'Élections Canada, en faisant des recherches par adresse civique.

40. À la demande d'un parti lors de la 41e élection générale, Élections Canada a fourni des renseignements préliminaires sur les lieux de scrutin à tous les partis enregistrés. L'information était accompagnée des mises en garde et des restrictions suivantes :

2.3 Communications téléphoniques des partis politiques avec les électeurs

41. La liberté d'expression est enchâssée dans la Charte canadienne des droits et libertés, tout comme les droits démocratiques des citoyens, dont celui de voter. Il est essentiel au processus démocratique que les entités politiques communiquent avec les électeurs. Pour leur faciliter la tâche, le Parlement a adopté des dispositions exigeant que des renseignements sur les électeurs soient transmis aux partis, aux candidats et aux députés, sous forme de listes électorales contenant les noms et adresses de chacunnote 10. Bien que les partis communiquent avec les électeurs de différentes façons, cette enquête n'a porté que sur les communications téléphoniques.

42. Tous les grands partis maintiennent une base de données sur les électeurs. Celle-ci comprend notamment les renseignements sur les électeurs que doit leur fournir Élections Canada et qu'ils peuvent utiliser pour communiquer avec eux. Les enquêteurs ont été informés que chaque grand parti protégeait sa base de données au moyen d'un mot de passe et faisait en sorte que seules les personnes autorisées par un responsable du siège du parti puissent y accéder, et ce, seulement aux données dont elles ont besoin pour leur travail.

43. Les enquêteurs ont aussi été informés que les partis comparent les noms des électeurs avec ceux des listes téléphoniques disponibles sur le marché, et qu'ils effectuent ensuite des « appels d'identification des électeurs » afin de déterminer qui sont leurs partisans. Plus tard au cours de la période électorale, les partis téléphonent aux électeurs pour les inciter à aller voter et ainsi maximiser le taux de participation chez leurs partisans. Normalement, ils n'appellent que les électeurs qu'ils croient être leurs partisans, selon les renseignements contenus dans leur base de données. Au fil de leurs entrevues, les enquêteurs se sont rendu compte que de nombreux intervenants de campagne considéraient les appels visant à identifier les partisans et à les inciter à voter comme essentiels au succès d'une campagne.

44. À l'élection de 2011, les partis et de nombreuses campagnes locales ont eu recours à des bénévoles, des entreprises de télémarketing ou les deux pour appeler les électeurs. Ces appels doivent respecter les règles du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Ces règles incluent diverses exigences : respecter des heures d'appel précises, s'identifier clairement dans le message et indiquer le numéro auquel il est possible de joindre un représentant de l'appelant, généralement en faisant apparaître le numéro sur les afficheurs. Ce numéro n'a pas besoin d'être le vrai numéro de la personne qui fait l'appel : il peut s'agir d'un numéro permettant au destinataire de l'appel de faire un suivinote 11. Le CRTC est chargé de faire respecter ces règles.

2.4 Interdictions prévues dans la Loi électorale du Canada

45. Selon l'article 110 de la Loi, les partis ont le droit d'utiliser les listes électorales pour communiquer avec les électeurs et demander des contributions. Il leur est toutefois interdit d'utiliser sciemment les renseignements personnels des électeurs à une fin autre que celles prévues à l'article 110note 12.

46. La Loi contient des dispositions visant à protéger les électeurs contre certaines pratiques abusives :

281. Il est interdit à quiconque, au Canada ou à l'étranger :
...
g) de volontairement empêcher ou s'efforcer d'empêcher un électeur de voter à une élection;

482. Commet une infraction quiconque :
...
b) incite une autre personne à voter ou à s'abstenir de voter ou à voter ou à s'abstenir de voter pour un candidat donné par quelque prétexte ou ruse, notamment en tentant de lui faire croire que le scrutin à une élection n'est pas secret.

47. Pour que ces dispositions s'appliquent dans le cas d'un appel fournissant des renseignements erronés sur un lieu de scrutin, il ne suffit pas d'établir le contenu de l'appel et l'identité de l'appelant. Il faut aussi prouver que l'appel a été effectué dans l'intention : a) d'empêcher ou de tenter d'empêcher un électeur de voter; b) d'inciter un électeur à voter ou à s'abstenir de voter, ou à voter ou à s'abstenir de voter pour un candidat donné par quelque prétexte ou ruse. Dans de tels cas, le fardeau de la preuve est celui applicable en droit criminel, soit la preuve hors de tout doute raisonnable.

48. Cette intention doit également être prouvée dans le cas d'un appel indésirable. Ainsi, appeler des électeurs à répétition, en se faisant passer pour un représentant d'un parti adverse, pourrait constituer une infraction si on pouvait établir que l'appelant avait l'intention de porter atteinte à l'exercice du droit de vote d'un électeur. Communiquer des renseignements faux ou erronés sans cette intention, aussi inacceptable que cela puisse être, ne constitue pas en soi une infraction à la Loi.

49. Des dispositions du Code criminel pourraient aussi s'appliquer dans certaines circonstances limitées :

2.5 Difficultés rencontrées par les enquêteurs

50. Avant de décrire la démarche des enquêteurs, il est important d'expliquer en quoi certains aspects du cadre juridique actuel leur ont posé des difficultés. Celles-ci sont décrites plus en détail dans le rapport du directeur général des élections de mars 2013, intitulé Prévenir les communications trompeuses avec les électeurs, qui a été mentionné précédemment. En voici un résumé.

51. Premièrement, le manque de renseignements sur les contrats conclus entre les campagnes locales ou nationales et les entreprises de télémarketing engagées pour téléphoner aux électeurs a eu des répercussions importantes sur les démarches des enquêteurs visant à établir la source des appels douteux. Cette difficulté est attribuable au caractère limité des rapports qui doivent être soumis à Élections Canada, conformément à la Loi. À l'heure actuelle, les dépenses des partis sont regroupées en catégories générales, et les partis ne sont pas tenus de fournir de documents à l'appui. Les candidats en ont toutefois l'obligation, mais ils ne sont pas tenus d'indiquer pourquoi ils ont engagé une entreprise de télémarketing, les numéros de téléphone des personnes appelées et le message transmis.

52. Deuxièmement, le Code criminel restreint les moyens d'obtenir de l'information et des éléments de preuve. Les enquêtes menées en vertu de la Loi doivent répondre aux normes applicables relativement à l'obtention de preuves. En raison des critères d'obtention d'une ordonnance de communication, décrits plus loin, il faut que l'enquête ait considérablement avancé avant qu'il ne soit possible de demander et d'obtenir une telle ordonnance. Une autre difficulté vient de l'impossibilité de contraindre des témoins potentiels à témoigner. À un certain point, les enquêteurs ont donc dû s'en remettre au bon vouloir des entités ou des personnes concernées pour obtenir des renseignements utiles.

53. Troisièmement, il n'existe aucune norme contraignante sur la création et la rétention de données dans le secteur de la téléphonie et du télémarketing. Ainsi, seule une minorité des fournisseurs de services téléphoniques conservent des données, à moins d'avoir un intérêt financier à le faire (p. ex. des frais d'interurbain impayés), alors que les entreprises de télémarketing ont des politiques inégales de conservation de données. Au cours de cette enquête, les fournisseurs de services téléphoniques n'ont pas tous répondu de la même façon aux demandes d'information sur leurs abonnés. Certains n'étaient pas disposés à fournir des renseignements sur les appels reçus par les plaignants faisant partie de leurs abonnés. Ils ont invoqué la nécessité de protéger les renseignements personnels de tiers, soit les auteurs des appels, conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

54. Outre le cadre juridique existant, l'état actuel de la technologie a aussi posé des difficultés. Par exemple, on est actuellement incapable de déjouer les moyens technologiques utilisés par des appelants pour éviter d'être retracés ou identifiés. Les services de téléphonie sur protocole Internet (VoIP), dont l'usage est très répandu, permettent aux appelants de configurer n'importe quel numéro d'origine, de sorte qu'il est très difficile, voire impossible, de remonter à la source de l'appel.

55. Enfin, deux autres facteurs ont grandement exacerbé les difficultés rencontrées pendant l'enquête :


Note 6 Voir l'article 110 de la Loi.

Note 7 Ces listes sont connues respectivement sous le nom de « listes électorales préliminaires à jour », de « listes électorales révisées » et de « listes électorales officielles ». Les « listes électorales définitives » sont établies après l'élection.

Note 8 Si un lieu de scrutin devient inaccessible en raison d'un incendie ou d'une inondation, par exemple.

Note 9 Voir les articles 135 à 140 et 283 à 291 de la Loi.

Note 10 Voir les articles 45 et 94 ainsi que les paragraphes 93(1.1) et 107(3) de la Loi.

Note 11 Fiche d'information du CRTC, intitulée « Règles à l'intention des candidats, des partis et des organismes politiques », www.crtc.gc.ca/fra/info_sht/t1041.htm.

Note 12 Voir l'alinéa 111f) de la Loi.





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