Rapport d'enquête sommaire sur les appels automatisés

3. Enquête

3.1 Information fournie par les plaignants

56. Comme il est indiqué ci-dessus, les enquêteurs ont examiné chacune des quelque 40 000 communications reçues par le commissaire pour distinguer les plaintes réelles des communications générales visant à exprimer des préoccupations. Au total, 1 726 plaignants ont présenté 2 448 plaintes (certains ont dit avoir reçu à la fois des appels indésirables et des appels les dirigeant vers la mauvaise adresse pour voter). Les enquêteurs ont tenté de communiquer avec chaque plaignant, parfois à plusieurs reprises, afin d'obtenir tous les renseignements pertinents : précisions sur l'identité du plaignant; nom de son fournisseur de services téléphoniques; contenu, date et heure de l'appel; et tout autre renseignement utile.

57. Il convient d'insister sur le fait que les enquêteurs ont toujours présumé que les plaignants étaient de bonne foi. Toutefois, ces derniers n'avaient généralement que des renseignements vagues et incomplets à fournir. Seule une petite partie des renseignements recueillis pouvaient servir de preuve. En général, les plaignants n'avaient échangé que quelques mots avec l'appelant, plusieurs mois auparavant. Peu ont fourni le numéro de provenance de l'appel, et certains ne connaissaient pas leur fournisseur de services téléphoniques. Seulement deux ont pu fournir un enregistrement de l'appel, et un seul en a fourni une transcription.

58. Comme de nombreux électeurs ont dit s'être plaints après avoir entendu parler de l'affaire dans les médias, il a été très difficile de déterminer si leurs souvenirs avaient été influencés par les reportages. Les enquêteurs ne pouvaient pas se fier aux renseignements non corroborés rapportés par les médias et impossibles à vérifier de façon indépendante, et ils ne l'ont pas fait. Ils ont également évité de cibler un parti politique en particulier.

59. Fait intéressant, les enquêteurs ont constaté, après examen de la preuve, que deux des trois appels pour lesquels les plaignants avaient fourni un enregistrement ou une transcription étaient anodins. Quant au troisième appel, il contenait des renseignements erronés sur le lieu de scrutin. Après avoir poussé l'enquête, on a constaté que l'appel provenait sans doute de la campagne locale du parti qu'appuyait le destinataire. Il serait donc illogique de conclure que l'appelant souhaitait empêcher l'électeur de voter.

60. Enfin, on s'est penché sur les circonscriptions comptant 15 plaignants ou plus, qui regroupaient 667 (39 %) des 1 726 plaignants. Six plaignants (0,8 %) de ces circonscriptions ont affirmé aux enquêteurs qu'ils n'avaient pas voté à cause des appels.

61. Voici des statistiques qui pourraient être utiles concernant les communications entre les enquêteurs et les plaignants. Parmi les 1 726 plaignants :

62. Comme le souvenir d'un appel reçu des mois plus tôt était le seul élément de preuve dans la plupart des cas, les enquêteurs devaient absolument examiner de près l'information fournie afin de bien faire leur travail. Pour évaluer plus objectivement les souvenirs des plaignants, plus particulièrement dans le contexte de la vaste couverture médiatique, ils ont consulté un expert de la recherche appliquée sur la mémoire. Cet expert a recommandé la prudence, notamment pour les raisons suivantes : a) à cause du temps écoulé entre l'incident et son rappel à la mémoire, la personne pourrait mal se souvenir de certains détails ou en inventer; b) les détails des reportages médiatiques pourraient être intégrés au souvenir.

3.2 Suivi concernant l'information fournie par les plaignants

3.2.1 Source des appels entrants

63. Comme il a été indiqué précédemment, 170 plaignants ont fourni aux enquêteurs le numéro d'origine des présumés appels inappropriés qu'ils ont signalés. Après avoir éliminé les doublons, les enquêteurs ont obtenu 96 numéros d'origine différents.

64. On a confirmé que certains de ces numéros appartiennent à des entreprises de télémarketing politique connues, alors que d'autres étaient liés à des entreprises de télémarketing commercial qui ne font pas d'appels politiques. À l'aide d'un logiciel d'analyse des liens, les enquêteurs ont déterminé qu'il y a eu au maximum 13 appels à des plaignants provenant d'un même numéro. Ce dernier n'était pas lié à une entité politique ou à une personne agissant en son nom, mais bien à une fraude par hameçonnage au moyen d'une carte de créditnote 13.

3.2.2 Fournisseurs de services téléphoniques des plaignants

65. Afin d'établir la source des appels douteux, les enquêteurs ont obtenu des ordonnances de communication pour contraindre les fournisseurs de services à leur remettre les relevés téléphoniques des plaignants. Dans quelques cas, les fournisseurs se sont volontairement exécutés, sur consentement des plaignants.

66. Les fournisseurs de services téléphoniques n'ont pas l'obligation légale de conserver les relevés téléphoniques. Ils les conservent pour des périodes variables s'ils contiennent des appels pour lesquels des renseignements de facturation sont nécessaires. Sinon, bon nombre n'en conservent aucun.

67. Un petit nombre de fournisseurs de services, en particulier ceux qui utilisent la saisie de données numériques (p. ex. des registres d'utilisation d'Internet), avaient conservé certaines données et ont été en mesure de les récupérer à la demande des enquêteurs, en vertu d'une ordonnance de communication. La majorité des plaignants étaient abonnés à des fournisseurs de services, tels que Bell Canada et Telus, qui ne conservaient pas les relevés, sauf ceux comportant un volet financier (ce qui n'était pas le cas des relevés des plaignants). De plus, un nombre relativement important de plaignants (273, tel qu'il a été mentionné précédemment) ne connaissaient pas leur propre fournisseur de services. Enfin, même lorsque des données étaient existantes (p. ex. pour Rogers, Shaw et Vidéotron), les fournisseurs ne pouvaient pas garantir qu'elles étaient complètes, ou que le processus d'archivage n'avait pas compromis leur intégrité.

68. La figure 3 indique que les données téléphoniques étaient existantes pour 342 plaignants (20 %) et inexistantes pour les 1 384 autres plaignants (80 %).

Figure 3

69. Dans la plupart des cas où les relevés téléphoniques ont été conservés, les fournisseurs ont exigé plus que le consentement des destinataires afin de fournir les relevés; la majorité n'ont accepté de collaborer que sur présentation d'une ordonnance émise par un tribunal.

3.2.3 Ordonnances de communication

70. Les ordonnances de communication sont émises par un tribunal en vertu du Code criminel et obligent les tiers – c'est-à-dire une personne ou une entité qui ne fait pas l'objet de l'enquête, comme les fournisseurs de services téléphoniques – à communiquer des documents ou des données. Pour obtenir une ordonnance, l'enquêteur doit d'abord présenter au tribunal une déclaration sous serment, aussi appelée dénonciation. La dénonciation doit démontrer que l'enquêteur a des motifs raisonnables de croire :

71. Les enquêteurs ont demandé des ordonnances de communication afin d'obtenir les relevés téléphoniques des plaignants pour la période en question. Cette procédure était la seule façon de déterminer avec certitude les numéros de téléphone à l'origine des appels entrants. Toutefois, on ne pouvait faire une demande pour l'émission d'une ordonnance de communication qu'à l'égard des relevés des plaignants qui avaient fourni suffisamment de détails pour que les enquêteurs aient des motifs raisonnables de croire qu'une infraction avait présumément été commise, que les données recherchées fourniraient des preuves touchant la commission d'une infraction, et que le fournisseur était toujours en possession des renseignements.

72. Des 342 plaignants dont les relevés téléphoniques étaient existants, 129 avaient fourni suffisamment de détails aux enquêteurs pour que ceux-ci aient des motifs raisonnables de demander une ordonnance de communication en temps opportun. Parmi les 213 autres plaignants pour qui des relevés existaient, un petit nombre ont formulé des allégations pour lesquelles des relevés téléphoniques n'étaient pas nécessaires (p. ex. certains ont signalé un comportement douteux lié à une élection provinciale). Toutefois, la plupart avaient présenté une plainte une fois l'étape initiale du processus d'ordonnance de communication entamée (en septembre 2012). Les enquêteurs comptaient demander les relevés pour ces plaintes au moyen d'autres ordonnances de communication à venir.

73. Des ordonnances de communication ont été obtenues pour les relevés de Rogers, de Shaw et de Vidéotron. Ensemble, les trois entreprises ont fourni les relevés de 6 051 appels entrants reçus par les 129 plaignants nommés dans les ordonnances. Les enquêteurs ont déterminé que ces appels provenaient de 1 597 numéros différents, et un abonné a été associé à chacun des numéros, dans la mesure du possible. Certains fournisseurs de services ont donné des renseignements sur l'abonné, mais d'autres ont refusé de confirmer son identité sans ordonnance de communication. Certains numéros étaient rattachés à des fournisseurs de services américains qui ont tous refusé de coopérer. Au final, les renseignements des abonnés pour les appels entrants ont été obtenus pour 949 numéros et n'ont pu l'être pour 648 numéros. Chaque numéro a également été comparé aux données des registres d'appels d'entreprises de télémarketing politique, aux numéros utilisés par les entités politiques et aux bases de données de numéros suspects du CRTC et du Centre antifraude du Canada.

74. Il a été impossible de déterminer le contenu de la majorité des appels qu'ont reçus les 129 plaignants dont les relevés ont été obtenus grâce à une ordonnance de communication. Cependant, dans certains cas, on a pu confirmer qu'il s'agissait d'appels politiques. Ces appels n'ont pas tous été considérés comme problématiquesnote 14. Dans certains cas, le contenu de l'appel obtenu à partir des enregistrements vocaux ne corroborait pas les allégations des plaignants.

75. Dans l'ensemble, on n'a noté aucun modèle particulier d'opération visant à induire les électeurs en erreur, comme la prédominance d'un seul numéro d'origine ou une foule de numéros prédominants, ce qui aurait pu laisser croire à la perpétration d'une infraction à la Loi. Les enquêteurs ont déterminé qu'il est arrivé souvent que des appels politiques soient dirigés vers un électeur habitant à l'extérieur de la circonscription visée par les appels. Ils ont aussi découvert des cas d'appels multiples à un même électeur. De plus, les enquêteurs ont pu confirmer le contenu d'un appel, trouvé dans les relevés téléphoniques du plaignant, qui fournissait des renseignements erronés sur le lieu de scrutin. Toutefois, dans ce cas, ils n'ont trouvé aucune preuve que l'appel visait à empêcher un électeur de voter.

76. L'analyse des résultats des ordonnances de communication a mené les enquêteurs à conclure qu'il n'existait plus de motifs raisonnables de croire qu'une infraction avait été commise dans le cas des 129 plaignants. Un examen des renseignements fournis par les 213 autres plaignants dont les fournisseurs de services détenaient encore les relevés a permis de déterminer que la nature de leurs plaintes était très similaire à celle des 129 premiers plaignants. En conséquence, les enquêteurs ne disposaient pas de renseignements nouveaux qui leur auraient fourni des motifs raisonnables de demander l'émission de nouvelles ordonnances de communication.

77. Cela signifie qu'il n'était plus possible d'obtenir d'autres ordonnances de communication ou mandats de perquisition; cette piste ne menait à rien et devait être abandonnée. Comme il était impossible d'accéder aux relevés téléphoniques des 213 autres plaignants pour qui il existait des relevés, mais qui se sont manifestés trop tard pour être inclus dans les premières ordonnances de communication, certains rapports de plaignants ne pourraient pas être comparés à des relevés téléphoniques concrets. Ainsi, l'on a dû compter encore davantage sur la coopération des partis politiques et des entreprises de télémarketing.

3.3 Suivi auprès des entités politiques, de leurs entreprises de télémarketing et d'autres intervenants

78. Beaucoup de temps et d'efforts ont été consacrés à l'obtention de la coopération des personnes, des partis politiques, des entreprises de télémarketing et des fournisseurs de services téléphoniques. Ceux qui ont accepté de coopérer ont parfois mis beaucoup de temps à se décider ou à répondre aux demandes d'entrevue des enquêteurs; dans certains cas, ils ont refusé de coopérer pleinement. Certains fournisseurs de services téléphoniques et entreprises de télémarketing ont tout simplement refusé de coopérer.

79. Les enquêteurs ont mené plus de 65 entrevues approfondies avec différents intervenants : des personnes (dont certaines plus d'une fois) de chacun des principaux partis, des participants aux campagnes locales, des fournisseurs de services téléphoniques, des entreprises de télémarketing et des employés d'Élections Canada. Comme il a été indiqué précédemment, les enquêteurs ont analysé les données accessibles à l'aide d'un logiciel d'analyse des liens et ont consulté des experts en téléphonie, en statistique et en recherche sur la mémoire. Des chiffriers élaborés et perfectionnés ont été utilisés afin d'identifier, de classer et de comparer fréquemment chaque renseignement.

3.4 Appels effectués au nom des entités politiques

80. Chacun des principaux partis a engagé des entreprises de télémarketing pour effectuer des appels de vive voix ou enregistrés. Dans certains cas, les appels ont aussi été faits directement par des bénévoles de campagne. Les processus d'appel ont varié d'un parti à l'autre.

81. À l'échelle nationale, le Parti conservateur, au moyen de sa base de données, le « Constituent Information Management System » (CIMS), a fait des appels principalement par l'intermédiaire de deux entreprises de télémarketing : Responsive Marketing Group (RMG) pour les appels de vive voix, et RackNine pour les appels enregistrés. Les candidats, pour leur propre campagne, ont fait appel à diverses entreprises de télémarketing. Le Parti libéral a utilisé Libéraliste, la base de données du parti, et a appelé les électeurs par l'intermédiaire de deux entreprises de télémarketing (Prime Contact et First Contact), tandis que les candidats ont fait appel à plusieurs entreprises pour leur propre campagne. Le Nouveau Parti démocratique a utilisé sa base de données, NDP Vote, et a appelé les électeurs à l'aide d'une seule entreprise de télémarketing, Strategic Communications.

82. Les enquêteurs ont demandé et généralement obtenu la coopération des trois principaux partis et des entreprises de télémarketing travaillant pour eux afin d'avoir accès aux représentants des partis et de comparer les relevés de la base de données du parti avec les numéros de téléphone des plaignants, avec l'aide d'un expert indépendant. Toutefois, il convient de noter que certains ont mis du temps à coopérer. Dans quelques cas, des mois se sont écoulés avant que les enquêteurs obtiennent les renseignements qu'ils avaient demandés, ou puissent organiser les entrevues nécessaires. Dans un cas, une personne qui aurait pu, selon les enquêteurs, fournir des renseignements hautement pertinents a refusé la demande d'entrevue.

83. Grâce à ce processus, les enquêteurs ont été capables, dans certains cas, de retracer les présumés appels inappropriés et d'établir un lien entre l'appelant et le plaignant au moyen des centres d'appels et des bases de données. Toutefois, dans la plupart des cas, les enquêteurs n'ont été en mesure que de confirmer si un plaignant avait en fait reçu un ou plusieurs appels d'une entreprise de télémarketing politique. Ils ont été incapables de déterminer le contenu de l'appel ou de savoir si l'appel reçu était bien celui dont s'était plaint l'électeur. Par conséquent, dans de nombreux cas, il a été tout simplement impossible de recueillir des renseignements confirmant les allégations des plaignants selon lesquelles ils avaient reçu un appel inapproprié.

84. Les prochaines sections décrivent les résultats des enquêtes auprès des partis et des entreprises de télémarketing qui ont coopéré. Les partis politiques sont nommés en ordre alphabétiquenote 15. Les enquêteurs ont déterminé que les trois principaux partis ont appelé certains plaignants et que, dans certains cas, les électeurs avaient reçu des renseignements erronés sur leur lieu de scrutin. Dans quelques cas, il a été admis que les appels effectués pouvaient être perçus comme des appels indésirables, même si telle n'était pas l'intention.

3.4.1 Parti conservateur du Canada

85. Les enquêteurs ont communiqué avec les entreprises de télémarketing fournissant la majorité des services d'appels pour le Parti conservateur ou ses candidats, et la plupart ont accepté de coopérer. Ils ont appris qu'aucune entreprise de télémarketing n'avait un accès indépendant au CIMS du Parti conservateur, et que chacune devait s'en remettre aux données sur les électeurs du CIMS qui leur avait été fournies par le parti ou les campagnes locales pour effectuer les appels. Deux entreprises de télémarketing, RackNine et RMG, ont conservé les enregistrements de leurs appels. Seule RMG a informé les électeurs de leur lieu de scrutin.

Campaign Research

86. Campaign Research a fourni des services d'appels à 39 campagnes locales du Parti conservateur et a appelé 89 numéros de plaignants pendant l'élection. L'entreprise ne conserve pas les enregistrements de ses appels, mais elle a fourni aux enquêteurs une liste des numéros d'affichage utilisés. L'un d'eux correspondait à un numéro d'affichage signalé par un plaignant, mais comme aucun enregistrement n'existait, les enquêteurs n'ont pas pu déterminer le contenu de l'appel. On a indiqué aux enquêteurs que les employés de Campaign Research travaillaient à l'aide d'un modèle de scénario, dont un échantillon a été fourni. Le texte du scénario n'a soulevé aucune préoccupation. Les enquêteurs ont également appris que les employés n'avaient pas accès aux renseignements sur les lieux de scrutin et qu'ils n'ont fourni aucune information aux électeurs à ce sujet.

Front Porch Strategies

87. Front Porch Strategies est une entreprise de télémarketing américaine active au Canada. Les enquêteurs ont appris qu'elle a fourni des services à dix campagnes du Parti conservateur pour des assemblées téléphoniques, et qu'elle n'a pas fourni de renseignements sur les lieux de scrutin aux électeurs. L'entreprise a fourni les numéros d'affichage utilisés, mais aucun n'a pu être lié aux appels douteux.

RackNine

88. RackNine a envoyé des messages enregistrés au nom du Parti conservateur et d'un certain nombre de ses campagnes locales pendant la 41e élection générale. En tout, 405 numéros de plaignants ont pu être liés aux appels effectués par RackNine, sous la supervision d'un expert indépendant. Les enquêteurs ont retenu les services d'un expert indépendant afin de veiller à ce que le processus de comparaison des bases de données et d'extraction des données, au besoin, soit réalisé d'une façon intègre auprès de RackNine et des autres entreprises de télémarketing, et de manière à protéger les renseignements personnels. Les appels de RackNine aux plaignants ont été liés à 92 messages enregistrés distincts. En écoutant chacun de ces messages, les enquêteurs ont découvert que 87 d'entre eux portaient sur la 41e élection générale, et le reste sur d'autres activités ou entités politiques. Les messages visaient à obtenir du soutien ou à annoncer des activités à venir; aucun d'entre eux ne posait problème ou ne fournissait des renseignements sur les lieux de scrutinnote 16.

Responsive Marketing Group
Appels et communications sur les lieux de scrutin de Responsive Marketing Group

89. RMG a fourni des services d'appels de vive voix pour la campagne nationale du Parti conservateur et 80 campagnes locales en utilisant les données du CIMS fournies par le parti ou les candidats. RMG est la seule entreprise de télémarketing de l'élection générale de 2011 qui a fait des appels de vive voix et qui en a conservé les enregistrements. Le texte du scénario approuvé par le Parti conservateur et fourni à RMG pour effectuer des appels à l'échelle nationale afin d'inciter les partisans à voter est le suivant :

« Bonjour, puis-je parler à (nom de la liste) s'il vous plaît?

Je m'appelle (prénom), de l'équipe du premier ministre Stephen Harper et des conservateurs. Votre candidat, (nom du candidat), m'a demandé de vous appeler.

Irez-vous voter lundi?

(Dans l'affirmative) Excellent. Élections Canada a modifié l'emplacement de certains lieux de vote à la dernière minute. Par mesure de précaution, pouvez-vous m'indiquer l'adresse de votre lieu de vote? (Comparer avec l'adresse que vous avez.)

C'est la bonne adresse. Le bureau sera ouvert jusqu'à (heure). À quelle heure irez-vous voter?

Avez-vous besoin d'un moyen de transport pour aller voter? (Dans l'affirmative, en prendre note et faire le nécessaire pour que le personnel de campagne appelle cette personne.)

Quelqu'un vous appellera pour organiser votre transport.

Élections Canada a indiqué que plus de 2 millions de Canadiens ont voté par anticipation, ce qui représente une hausse de 36 % par rapport à la dernière élection générale et un sommet historique canadien. Cela veut donc dire que plusieurs de nos adversaires ont déjà voté.

Nous avons besoin de votre vote lundi, car plusieurs de nos adversaires ont déjà voté.

Pouvons-nous compter sur votre vote lundi? (Attendre la réponse.)

Pouvons-nous vous offrir un moyen de transport pour aller voter?

Je vous remercie de votre temps. »

90. RMG a fourni aux enquêteurs une liste des numéros d'affichage utilisés, à laquelle les renseignements des plaignants ont été comparés. En février 2013, puis de nouveau en septembre 2013, sous la supervision d'un expert indépendant, les numéros de téléphone des plaignants ont été comparés aux relevés téléphoniques de RMG et aux dossiers connexes. RMG a autorisé les enquêteurs à sélectionner, à examiner et à écouter tous les appels effectués aux numéros des plaignants, ainsi qu'un échantillon aléatoire de 1 000 appels pour lesquels aucune plainte n'avait été enregistrée. Ainsi, les enquêteurs ont pu déterminer si les employés de RMG s'en sont tenus au texte du scénario, si des renseignements erronés sur les lieux de scrutin ont été communiqués et si des appels auraient pu être considérés comme indésirables.

91. Les renseignements recueillis pendant l'enquête ont démontré que RMG a tenté d'appeler 289 numéros de plaignants, parfois sans succès. Par exemple, certains appels sont restés sans réponse ou ont été pris par une boîte vocale, ou la personne a raccroché. Les enquêteurs ont examiné toutes les tentatives d'appel à des numéros de plaignants et ont découvert que, parmi les appels qui ont été pris et enregistrés, seulement quelques-uns ont fait l'objet d'un échange sur l'emplacement du lieu de scrutin. Plusieurs raisons expliquent cela. Dans certains cas, le destinataire n'était pas disponible. Dans d'autres cas, le destinataire indiquait à l'appelant qu'il avait déjà voté, raccrochait ou terminait la conversation pour une autre raison avant que le lieu de scrutin n'ait été mentionné.

92. Au total, les enquêteurs ont examiné chacun des 126 appels reçus par les plaignants, en plus de 1 000 appels reçus par d'autres électeurs. Parmi les appels enregistrés pour lesquels l'appelant de RMG a joint le destinataire, les appelants ont dit représenter le Parti conservateur dans presque tous les cas. Aucun n'a dit appeler au nom d'Élections Canada, bien que le texte du scénario comportait deux fois les mots « Élections Canada » et qu'on mentionnait un changement de l'emplacement de certains lieux de scrutin.

93. Les enquêteurs ont appris qu'un certain nombre d'appelants de RMG ont indiqué aux électeurs l'endroit où ils devaient voter au lieu de demander aux électeurs de vérifier le lieu de scrutin inscrit sur leur CIE, comme l'indique le texte du scénario. De plus, un certain nombre d'appels effectués par RMG et indiquant un lieu de scrutin en particulier ont fourni des renseignements erronés et ont habituellement dirigé les électeurs vers un lieu plus éloigné que le lieu de scrutin applicablenote 17. D'autres dirigeaient les électeurs au même lieu de scrutin que celui qui figurait sur leur CIE. Le lieu de scrutin n'a pas été fourni dans la plupart des conversations.

94. Les enquêteurs ont divisé les appels en deux catégories, selon leur contenu : les appels pour lesquels le lieu de scrutin n'a pas été fourni, et les appels pour lesquels le lieu de scrutin a été fourni. Lorsqu'un lieu de scrutin était mentionné, les enquêteurs ont regroupé les résultats en trois sous-catégories : « RMG a fourni des renseignements exacts », « RMG a fourni des renseignements erronés » et « impossible de déterminer si les renseignements fournis par RMG étaient exacts ou non ». Cette dernière sous-catégorie se réfère à une conversation dans laquelle les électeurs n'ont ni confirmé ni réfuté, durant l'appel, les renseignements sur leur lieu de scrutin. Cette sous-catégorie s'applique à 1 000 échantillons d'appels seulement. En ce qui concerne les plaignants, les enquêteurs ont pu déterminer le lieu de scrutin et si oui ou non les renseignements fournis par RMG étaient exacts. La figure 4 présente les résultats de cet examen.

Figure 4

Mention du lieu de scrutin lors des appels de Responsive Marketing Group
Catégorie de conversation Échantillon d'appels Appels aux plaignants
Lieu de scrutin non fourni 720 72,0 % 65 51,6 %
Lieu de scrutin fourni
RMG a fourni des renseignements exacts 235 23,5 % 27 21,4 %
RMG a fourni des renseignements erronés 10 1,0 % 34 27,0 %
Impossible de déterminer si les renseignements fournis par RMG étaient exacts ou non 35 3,5 % 0 0,0 %
Total 1 000 100 % 126 100 %

95. Il est important de faire ressortir certains des renseignements présentés dans la figure 4, qui ont été compilés par les enquêteurs lors de l'écoute des appels effectués par RMG.

96. En ce qui concerne les appels aux plaignants, les enquêteurs ont déterminé que le lieu de scrutin n'avait pas été fourni dans 51,6 % des cas, et que les renseignements sur le lieu de scrutin fournis par RMG étaient exacts dans 21,4 % des cas. C'est donc dire que RMG a fourni des renseignements erronés sur le lieu de scrutin dans 27,0 % des appels faits aux plaignants.

97. Il importe de noter que, bien que certains appelants de RMG ayant fourni des renseignements erronés sur le lieu de scrutin aient indiqué à l'électeur où voter, la majorité des appels fournissant des renseignements erronés étaient plus nuancés. Effectivement, l'appelant de RMG indiquait un lieu de scrutin différent de celui inscrit sur la CIE de l'électeur, mais il reconnaissait que l'électeur devrait confirmer l'information auprès d'Élections Canada.

98. Enfin, comme le montre la figure 4, selon l'échantillon aléatoire de 1 000 conversations écoutées, les enquêteurs ont déterminé que dans 72,0 % des cas, le lieu de scrutin n'avait pas été fourni. Dans 23,5 % des cas, les renseignements fournis avaient été exacts, et dans 3,5 % des cas, les enquêteurs n'ont pas été en mesure de déterminer si les renseignements fournis étaient exacts ou non. Par contre, les enquêteurs ont pu confirmer que des renseignements erronés avaient été fournis dans 1,0 % des cas.

Appels de Responsive Marketing Group et représentants du Parti conservateur

99. Le président de la campagne nationale du Parti conservateur a indiqué aux enquêteurs qu'Élections Canada n'avait pas l'autorité de limiter l'utilisation des renseignements sur les lieux de scrutin par un parti, tel qu'Élections Canada l'avait indiqué dans ses mises en garde et restrictions (voir le paragraphe 40 ci-dessus), qui accompagnaient les renseignements. Il a affirmé que la stratégie de communication consistait à indiquer aux partisans l'endroit où ils devaient voter plutôt que de les diriger vers Élections Canada, par crainte qu'ils ne se donnent pas la peine de communiquer avec l'organisme et n'aillent pas voter.

100. À la lumière des renseignements obtenus du Parti conservateur, les enquêteurs ont appris que pendant les derniers jours de la période électorale, certains électeurs se sont plaints au personnel d'une campagne locale au sujet d'appelants du Parti conservateur fournissant aux partisans des renseignements erronés sur les lieux de scrutin. Le personnel de la campagne locale a remis en question l'exactitude des données du CIMS concernant les lieux de scrutin, et un travailleur de campagne a suggéré au personnel de la campagne nationale que les appelants cessent de donner aux électeurs des « conseils sur les lieux de scrutin ». Dans une réponse par courriel, le coordonnateur des communications directes avec les électeurs du parti a indiqué que les renseignements erronés découlaient du fait que le CIMS attribuait la mauvaise section de vote à certains électeurs. Il a terminé en précisant qu'« il s'agissait d'un groupe de personnes très réduit, mais qu'il y en aurait quelques-unes dans chaque circonscription » (traduction libre). Cette affirmation concorde avec le nombre et la répartition des plaintes concernant des appels fournissant des renseignements erronés sur les lieux de scrutin dans des circonscriptions autres que Guelph.

101. Le coordonnateur a également indiqué aux enquêteurs qu'il se souvenait d'avoir reçu des « notes », à l'origine d'Élections Canada, au sujet d'appels fournissant aux électeurs des renseignements erronés sur l'emplacement de leur lieu de scrutin. Ces notes lui avaient été transmises par les représentants du parti. Il a dit aux enquêteurs que dans un tel cas, il demandait à RMG si l'électeur avait été appelé et, si oui, qu'on lui fournisse l'enregistrement de l'appel. Pour toutes les plaintes concernant des renseignements erronés sur l'emplacement des lieux de scrutin dont il se souvenait, le problème était attribuable à une erreur unique dans le CIMS, et non à une erreur de système touchant plusieurs électeursnote 18. Comme il avait conclu que les problèmes étaient liés aux données et non au système, il avait permis à RMG de poursuivre les appels; s'il avait conclu que le système était en cause, il aurait fait cesser les appels. Il a fait remarquer que toutes les bases de données comportent des erreurs, malgré tous les efforts déployés pour épurer les données.

102. La mention des « notes » de la part d'Élections Canada concernant des appels pourrait faire référence à ce qui s'est produit entre le 29 avril et le 1er mai 2011, lorsque les directeurs du scrutin de 11 circonscriptions ont signalé des plaintes concernant des renseignements erronés sur les lieux de scrutin fournis par des appelants du Parti conservateur. Lorsque les directeurs du scrutin ont communiqué avec les employés des campagnes locales du Parti conservateur, ces derniers ont indiqué que les appels provenaient de l'équipe de campagne nationale et qu'ils ne pouvaient pas les faire cesser. Grâce à des moyens de communication établis, Élections Canada a soulevé cette question deux fois auprès du Parti conservateur. À deux reprises, le parti a assuré Élections Canada qu'il avait compris que des directeurs du scrutin avaient modifié certains lieux de scrutin et que, en conséquence, les candidats confirmaient le bon lieu de scrutin dans le cadre d'appels à un certain nombre de partisans.

3.4.2 Parti Vert du Canada

103. Aucune préoccupation n'a été soulevée concernant des appels inappropriés impliquant le Parti Vert. Une candidate a elle-même signalé que l'entreprise de services d'appels automatisés qu'elle avait engagée avait fait des appels en boucle à un petit nombre d'électeurs, de sorte que les mêmes électeurs avaient été appelés plusieurs fois pendant une certaine période de temps. Le personnel de campagne a offert ses excuses à chaque électeur en expliquant le problème, et aucun ne s'est plaint au commissaire.

3.4.3 Parti libéral du Canada

104. Un certain nombre d'électeurs se sont plaints d'appels inappropriés provenant d'une personne prétendant travailler pour le Parti libéral ou la campagne de l'un de ses candidats. Le Parti libéral et ses campagnes ont principalement fait appel aux entreprises de télémarketing Prime Contact et First Contact. Les numéros de provenance des appels de First Contact correspondaient à ceux de trois rapports de plaignants; toutefois, sans un enregistrement ou un rapport détaillé de l'appel par un plaignant, le contenu de l'appel demeure inconnu. Aucun numéro d'origine de Prime Contact n'était disponible. Prime Contact et First Contact ne conservent pas les données de leurs appels; ils les téléchargent plutôt dans Libéraliste (voir ci-après). On a dit aux enquêteurs que les entreprises de télémarketing engagées par le Parti libéral à l'échelle nationale n'ont pas informé les électeurs de leur lieu de scrutin.

105. Les enquêteurs ont également appris que certains appelants des campagnes locales du Parti libéral ont fourni des renseignements sur les lieux de scrutin. On a trouvé des preuves indiquant que les appelants des campagnes dans deux circonscriptions ont fourni ou semblent avoir fourni des renseignements erronés sur les lieux de scrutin à deux électeurs. Toutefois, aucun élément de preuve n'a permis d'établir une intention malveillante relativement à ces appels (en fait, dans un cas, les enquêteurs ont appris que le problème a été découvert le jour de l'élection et corrigé par la campagne).

Libéraliste

106. Libéraliste est la base de données du Parti libéral utilisée pour consigner les renseignements sur les électeurs, y compris leurs numéros de téléphone et leur appui au parti. La base de données peut enregistrer les appels, mais cette fonction n'a pas été activée pendant l'élection. Ainsi, aucun appel n'a été enregistré, à l'exception d'un appel automatisé. Libéraliste a enregistré la date des appels, mais non l'heure de ceux-ci dans la plupart des cas. Les enquêteurs n'ont pas été en mesure d'établir de liens entre un appel en particulier du Parti libéral et une plainte, étant donné l'absence, dans la plupart des cas, du relevé téléphonique des plaignants et de l'heure des appels dans les dossiers de Libéraliste.

107. Les numéros des plaignants ont été comparés avec les données de Libéraliste sous la supervision d'un expert indépendant. L'analyse a montré que 480 numéros de plaignants ont été composés. Le texte du scénario des appels a été conservé dans quelques cas seulement, et a été fourni aux enquêteurs par le Parti libéral et ses différentes équipes de campagne. Les enquêteurs ont examiné son contenu, qui n'a soulevé aucune préoccupation. Toutefois, le texte du scénario n'indique que ce qui doit être dit par les appelants, et non ce qui a effectivement été dit. Le processus de comparaison des données a permis aux enquêteurs de déterminer si une entreprise de télémarketing du Parti libéral a communiqué avec un électeur ou non, mais pas le contenu de l'appel.

108. Par ailleurs, les enquêteurs ont examiné des informations selon lesquelles des personnes prétendant être des partisans libéraux auraient appelé des électeurs pendant ce qui était pour eux une fête religieuse. Aux fins de l'enquête, cette plainte ne serait pertinente que si l'on pouvait prouver que l'appelant connaissait la confession de l'électeur ou avait des raisons de croire qu'il la connaissait, et que l'appel visait à empêcher l'électeur de voter ou, par quelque prétexte ou ruse, à inciter l'électeur à voter ou à s'abstenir de voter pour un candidat donné. Aucune preuve n'a été trouvée en ce sens. Les appelants d'une campagne locale du Parti libéral ont toutefois confirmé que, pendant la campagne, ils avaient appelé des électeurs de la circonscription pendant la fête religieuse et auraient pu appeler un plaignant, car ils ne pouvaient pas différencier les électeurs selon leur religion.

3.4.4 Nouveau Parti démocratique

109. Quatre plaintes portaient sur des appels qui, selon les allégations, auraient été faits par le Nouveau Parti démocratique ou certains de ses candidats : deux plaintes signalaient des appels fournissant des renseignements erronés sur les lieux de scrutin, et deux autres, des appels indésirables. Les plaignants n'ont pu fournir aucun élément de preuve indépendant et leurs fournisseurs de services n'ont pas conservé les relevés téléphoniques.

110. Le Nouveau Parti démocratique utilise une base de données appelée NDP Vote. Les appels ont été effectués principalement par Strategic Communications, et par un nombre limité de bénévoles du parti ou des campagnes locales. Les appelants du Nouveau Parti démocratique ont fourni des renseignements sur les lieux de scrutin, obtenus de NDP Vote, mais aucun appel n'a été enregistré et aucun relevé téléphonique n'a été conservé. Strategic Communications a fourni une liste des numéros d'affichage utilisés, mais aucun ne correspondait à ceux indiqués par les plaignants.


Note 13 Généralement, dans une fraude par hameçonnage au téléphone, l'appelant prétend représenter une entreprise légitime, mais cherche en fait à tromper le destinataire afin d'obtenir ses renseignements personnels ou financiers ou ses mots de passe.

Note 14 Des appels politiques ont été confirmés et, dans certains cas, leur contenu a pu être déterminé au moyen des bases de données de plusieurs organisations, notamment les enregistrements vocaux de l'entreprise de télémarketing Responsive Marketing Group, dont il sera question plus loin dans le présent rapport.

Note 15 Le présent rapport ne fait pas mention du Bloc Québécois, car il n'a fait l'objet d'aucune plainte.

Note 16 RackNine est le fournisseur de services d'appels automatisés qui a diffusé le message vocal au centre de l'enquête dans Guelph. L'examen de l'expert indépendant de la base de données de RackNine, aux fins de la présente enquête, ne visait pas le message diffusé dans Guelph.

Note 17 Dans certains cas, l'écart était de quelques kilomètres, et dans plusieurs cas, l'écart était supérieur à 100 kilomètres. Le lieu le plus éloigné, indiqué à un électeur avec qui RMG a communiqué deux fois, se trouvait à 740 kilomètres du lieu approprié.

Note 18 Il a donné l'exemple d'un électeur ontarien dont le nom figurait deux fois dans le CIMS, à une adresse municipale identique, mais dans des villes différentes.





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